Migrants au Manitoba: un blizzard faisait rage, selon les premiers témoins du procès
FERGUS FALLS — Un agent de renseignements de la patrouille frontalière américaine s’est rappelé avoir été horrifié mardi lorsqu’il a réalisé qu’un groupe de migrants en provenance de l’Inde, dont un jeune enfant, se trouvait dans une étendue de prairie ouverte à la frontière entre le Manitoba et le Minnesota, dans un blizzard glacial.
«Mon cœur s’est serré (…) parce qu’il y a plus de monde là-bas», a témoigné Daniel Huguley lors du procès de deux passeurs accusés.
Certains migrants adultes avaient déjà été interpellés après avoir tenté de traverser la frontière sans être détectés le 19 janvier 2022. L’un d’eux avait un sac à dos, et M. Huguley a expliqué avoir regardé à l’intérieur.
«La première chose que j’ai vue (…) c’était cette couche.»
Des couches, des lingettes pour bébé, des petites moufles et deux petites voitures — une rouge et une blanche — ont été montrées sur des photos lors du procès. M. Huguley a déclaré avoir alerté un superviseur qu’il y avait manifestement encore des personnes disparues.
Quelques heures plus tard, à quelques mètres de la frontière du côté canadien, la GRC a trouvé les corps gelés d’une famille — Jagdish Patel, 39 ans ; son épouse, Vaishaliben Patel, 37 ans, leur fille de 11 ans, Vihangi, et leur fils de trois ans, Dharmik.
Le corps du garçon était bercé dans les bras de son père.
Steve Shand et Harshkumar Patel sont accusés d’avoir fait partie d’un réseau qui a fait venir des ressortissants indiens au Canada puis les a fait traverser la frontière à pied. Ils ont plaidé non coupables des accusations, notamment de complot en vue de transporter des étrangers causant des blessures corporelles graves et mettant des vies en danger.
Un météorologue a expliqué au procès de Fergus Falls, dans le Minnesota, qu’il y avait eu de la poudrerie et un froid intense le 19 janvier 2022 qui menaceraient toute personne qui ne s’habillerait pas correctement pour un tel temps. Les températures étaient inférieures à -20 degrés Celsius et les vents rendaient la sensation de froid encore plus forte.
«Lorsque le refroidissement éolien atteint -30 degrés, des engelures peuvent survenir en 10 minutes», a expliqué au tribunal Daryl Ritchison, directeur du North Dakota Agricultural Weather Network. «Plusieurs couches seraient nécessaires pour maintenir la chaleur corporelle.»
Steve Shand et Harshkumar Patel sont accusés d’avoir effectué plusieurs voyages en décembre 2021 et janvier 2022.
Le 19 janvier 2022, M. Shand conduisait une camionnette de 15 passagers qui s’est retrouvée coincée dans la neige sur une route de campagne juste au sud de la frontière, loin de tout point d’entrée légal, a entendu le tribunal.
Troy Larson, un travailleur d’une usine voisine, a témoigné mardi qu’il était tombé sur la camionnette de Steve Shand, qui transportait deux autres personnes, et les avait remorquées hors du fossé.
Il a proposé de les guider vers un bâtiment voisin où ils pourraient se réchauffer du froid, mais l’accusé a refusé, a raconté M. Larson. «Il a dit qu’ils allaient rendre visite à des amis à Winnipeg», a rapporté le témoin.
Les agents de la patrouille frontalière sont rapidement arrivés. Le premier, Christopher Oliver, a déclaré que M. Shand lui avait également dit qu’il se rendait à Winnipeg, mais que l’histoire n’avait aucun sens car la camionnette était loin de toute autoroute principale.
M. Oliver a vérifié le permis de conduire de Steve Shand et les passeports indiens des deux jeunes hommes dans la camionnette, qui avaient des visas d’étudiants canadiens et aucun tampon indiquant qu’ils étaient entrés légalement aux États-Unis, a déclaré le patrouilleur.
Il a reçu un appel indiquant que d’autres migrants avaient été retrouvés dans un champ. Il a dit avoir alors demandé à M. Shand s’il en connaissait d’autres.
«Des gens mourront si vous ne me dites pas la vérité», a rapporté M. Oliver. Steve Shand a répondu qu’il n’y en avait pas d’autres, a-t-il dit.
Cinq autres migrants ont été récupérés par d’autres agents à proximité et l’un d’eux, une femme, souffrait d’hypothermie grave et perdait connaissance par intermittence, a déclaré M. Oliver.
La main de la femme «ressemblait à une poitrine de poulet qui venait d’être sortie du congélateur», a décrit le témoin. Elle a été transportée par avion à Minneapolis pour y recevoir des soins médicaux.
C’est parmi ces migrants que M. Huguley a trouvé le sac à dos contenant les affaires de l’enfant, ce qui a déclenché une nouvelle recherche.
En contre-interrogatoire, Christopher Oliver a déclaré que Steve Shand n’avait fourni aucun faux document et n’était pas mieux préparé au froid que les migrants.
Les avocats de la défense ont affirmé que M. Shand était chauffeur de taxi et qu’il prenait fréquemment des personnes pour son coaccusé, mais qu’il ignorait jusqu’au jour de son arrestation qu’il faisait quoi que ce soit d’illégal.
Les avocats de Harshkumar Patel ont déclaré qu’il avait été identifié à tort comme faisant partie d’un réseau de contrebande.
Le procès a également entendu le témoignage d’un homme qui a indiqué avoir participé à l’opération de contrebande mais n’a pas été directement impliqué dans le voyage meurtrier de 2022.
Rajinder Paul Singh a affirmé avoir travaillé pendant huit ans, principalement pour faire traverser des personnes à travers la frontière entre la Colombie-Britannique et l’État de Washington, pour un homme nommé Fenil Patel, qui n’est pas non plus apparenté à la famille décédée.
Les autorités indiennes ont déclaré l’année dernière qu’elles travaillaient à l’extradition de Fenil Patel et d’un autre Canadien pour qu’ils soient inculpés dans ce pays.
M Singh a déclaré que Fenil Patel avait eu des contacts téléphoniques avec les migrants alors qu’ils luttaient pendant des heures pour traverser la frontière à pied la nuit du blizzard, et M. Patel a ensuite contacté M. Singh.
«(Patel) a dit qu’il leur avait dit : ‘Revenez d’où vous venez et je (demanderai à quelqu’un) de venir vous chercher là-bas’», a témoigné M. Singh.
«Il leur a menti.»
Les avocats de la défense ont contesté le témoignage de M Singh. L’un d’eux a souligné ses trois condamnations pour contrebande et fraude et a déclaré au tribunal que M. Singh avait l’habitude d’être trompeur.