François Legault veut freiner la «tendance inquiétante à la centralisation» d’Ottawa

QUÉBEC — Le gouvernement caquiste met sur pied un comité pour protéger les valeurs, l’identité et accroître l’autonomie du Québec au sein de la fédération canadienne. Il devra évaluer comment la province peut obtenir plus de pouvoir face au fédéral, notamment en immigration. Mais pas question d’ouvrir la porte à l’indépendance ou d’entamer des négociations constitutionnelles avec Ottawa.

Le premier ministre François Legault en a fait l’annonce vendredi au Salon bleu, dénonçant l’intensification d’une «tendance inquiétante à la centralisation et aux empiétements» de la part du gouvernement fédéral.

«Il agit trop souvent comme si le Canada était un régime unitaire centralisé et non une fédération. (…) Les ingérences fédérales dans nos compétences causent toutes sortes de problèmes. D’abord, elles limitent le droit de la nation québécoise de faire ses propres choix. Aussi, les intrusions fédérales compliquent et ralentissent inutilement les choses et ajoutent de la bureaucratie», a-t-il lancé.

«Face à ces enjeux, on doit continuer de renforcer l’autonomie du Québec, de préserver ses droits et d’obtenir plus de pouvoirs dans des domaines fondamentaux, comme l’immigration», a ajouté le premier ministre.

François Legault a pris tout le monde par surprise avec l’annonce de son comité lors de la dernière journée de la session parlementaire qui sert traditionnellement aux bilans des différents partis politiques.

C’est le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, qui supervisera les travaux du comité, et non pas son collègue Jean-François Roberge, qui est pourtant ministre des Relations canadiennes.

«Après des décennies caractérisées par l’attentisme et l’impasse constitutionnelle, l’État québécois est déterminé à prendre tout l’espace qui lui revient et à se doter des outils nécessaires pour y parvenir», a écrit M. Jolin-Barrette sur Facebook.

Le comité sera composé de six personnes, dont l’ancien ministre libéral Sébastien Proulx, le professeur de droit à l’Université de Sherbrooke et ex-candidat péquiste Guillaume Rousseau ainsi que l’ancienne cheffe de cabinet des premiers ministres René Lévesque et Pierre Marc Johnson, Martine Tremblay.

Le comité rendra ses conclusions le 15 octobre prochain et aura comme mandat de «recommander des moyens de protéger et de promouvoir les droits collectifs de la nation québécoise; d’assurer le respect de nos valeurs et de notre identité commune; de garantir le respect des champs de compétence du Québec et d’accroître son autonomie au sein de la fédération canadienne», a énuméré M. Legault.

Toutefois, il ne pourra pas proposer au gouvernement de faire l’indépendance du Québec. Également, «pas question de commencer des discussions constitutionnelles avec Ottawa». «Ce qu’on demande au comité, c’est de nous faire des recommandations avec les pouvoirs juridiques et constitutionnels qu’on a actuellement», a affirmé M. Legault en point de presse vendredi après sa déclaration.

«Inertie constitutionnelle»

Dans son discours au Salon bleu, le premier ministre a rappelé l’adoption, par le Canada, de la Loi constitutionnelle de 1982 «contre la volonté du Québec», les échecs des accords constitutionnels de Meech et de Charlottetown, ainsi que les deux référendums sur la souveraineté qui «ont échoué». Tout cela aurait engendré «une sorte d’inertie constitutionnelle» pendant 23 ans.

François Legault a vanté son bilan en affirmant que depuis l’élection de son gouvernement en 2018, «le Québec est enfin sorti de l’impasse, sans attendre la bonne volonté du reste du Canada».

«Nous avons agi unilatéralement et le Québec a réussi à faire des gains et à renforcer ses assises constitutionnelles. L’Assemblée nationale a adopté la Loi sur la laïcité de l’État le 16 juin 2019. Le 24 mai 2022, nous avons adopté la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français», a-t-il soutenu.

Rencontre avec Trudeau lundi

L’annonce surprise de ce comité met la table à la rencontre de lundi entre François Legault et son homologue fédéral, Justin Trudeau, qui portera sur l’immigration. Le premier ministre canadien a une «obligation de résultat», selon M. Legault.

Le premier ministre québécois veut qu’Ottawa diminue «de façon significative et rapide» le nombre d’immigrants temporaires et qu’il répartisse mieux les demandeurs d’asile dans le reste du pays.

Québec souhaite avoir son mot à dire dans la sélection des travailleurs étrangers temporaires et que la connaissance du français soit prise en compte. On réclame aussi 1 milliard $ à Ottawa pour éponger la facture associée à l’accueil des demandeurs d’asile.

Le premier ministre veut mettre la pression sur Ottawa pour qu’il réponde à ses doléances et la création du comité fait partie de cette stratégie. Il rappelle régulièrement qu’une élection fédérale approche à grands pas. «Les Québécois vont être attentifs aux propositions des différents partis quand il y aura cette élection», a-t-il dit.

Lors du dernier scrutin fédéral, M. Legault avait encouragé les Québécois à voter pour les conservateurs d’Erin O’Toole. Pourrait-il faire de même lors de la prochaine élection? «Peut-être», a-t-il répondu, ajoutant qu’il était encore «trop tôt pour prendre position».

François Legault a réitéré que les 560 000 immigrants temporaires au Québec mettaient «une pression insoutenable sur tous les services qu’on offre et sur l’avenir du français».

Rappelons que M. Legault espérait obtenir les pleins pouvoirs en immigration lors de sa dernière rencontre avec le premier ministre canadien Justin Trudeau en mars dernier, mais sa demande est restée lettre morte.