Les producteurs laitiers sacrifiés pour un «compromis»
Des producteurs de lait de Chaudière-Appalaches et du Centre-du-Québec se sont réunis à la fromagerie La Bourgade de Thetford Mines, le mercredi 14 novembre, afin d’exprimer leur mécontentement à la suite de l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC).
En ajoutant les deux autres récentes ententes qui incluaient aussi des concessions, soit le Partenariat transpacifique (PTP) et l’Accord économique et commercial global (AECG), les pertes équivalent à un mois de production ou à 1200 fermes laitières de taille moyenne.
«Quand on le dit comme ça, on voit bien à quel point cela va avoir un impact, a affirmé Bruno Cyr, président des Producteurs de lait de Chaudière-Appalaches-Sud. De plus, ce qui nous dérange, c’est l’ingérence américaine dans nos politiques agroalimentaires. C’est du jamais vu.»
Selon lui, l’accès offert limitera non seulement la capacité du Canada à exporter du lait et des produits laitiers, mais réduira en plus les chances pour l’industrie de profiter de la croissance de son marché intérieur. M. Cyr croit maintenant que le gouvernement doit offrir des compensations aux producteurs.
«Nous n’avons jamais demandé ça dans le passé, mais il y a des limites à se faire enlever du marché. C’est le seul moyen que l’on voit présentement sinon il y aura une perte importante d’emplois et de fermes. Le point positif actuellement, c’est que les consommateurs sont derrière les producteurs. Le logo de la petite vache bleue est plus présent qu’avant. Ça aide les gens à choisir le produit local», a-t-il ajouté.
De son côté, Sylvain Bourque, 2e vice-président de la Fédération de l’Union des producteurs agricoles de la Chaudière-Appalaches, a souligné que les États-Unis imposent leur vouloir pendant que le gouvernement canadien sacrifiait encore une fois les producteurs laitiers.
«Chez eux, ce n’est pas 15 % de produits d’ailleurs qui entrent dans leur marché, mais plutôt 3 ou 4 %. Ils ont des subventions, tandis que nous avons le système de la gestion de l’offre. Cela aide les producteurs à arriver, peu importe si c’est une petite, une moyenne ou une grande entreprise. Ce n’est pas au plus fort la poche, nous travaillons tous ensemble.»
Deux comités seront créés
Pour le député fédéral de Mégantic-L’Érable et porte-parole de l’opposition officielle en matière d’agriculture, Luc Berthold, le gouvernement de Justin Trudeau s’est écrasé afin d’arriver à cette entente. «Tous conviennent que le Canada avait besoin d’une entente avec les États-Unis parce que c’est notre principal partenaire commercial. Ce que l’on déplore, c’est qu’encore une fois ce sont les producteurs de lait qui payent la note.»
À noter que la semaine dernière, la ministre du Commerce international, Chrystia Freeland, a avoué que l’ouverture du marché du lait aux Américains a été le plus gros compromis que le Canada a accepté pour conclure un plus grand accord. «Compromis» est le mot qu’elle a utilisé la semaine dernière lors d’un événement public à Toronto plutôt que celui de «concession».
Par ailleurs, M. Berthold a soutenu que des compensations, et non de simples mesures d’atténuation, étaient maintenant nécessaires pour faire en sorte de diminuer l’impact pour les producteurs et qu’ils ne fassent pas continuellement les frais de cette entente. «Nous allons continuer à la Chambre des communes de mettre de la pression sur le gouvernement. Celui-ci va mettre en place deux comités pour travailler sur les compensations et l’avenir de l’industrie laitière», a-t-il dit en espérant que les producteurs de lait soient bien représentés.
Le député de Mégantic-L’Érable a aussi mentionné être inquiet des nouvelles règles d’étiquetage du fromage qui feront en sorte, selon lui, de le faire passer comme un produit dangereux pour la santé. Il est également préoccupé par les répercussions du nouveau Guide alimentaire canadien alors que les produits laitiers n’auront plus leur propre catégorie.
Un avenir incertain pour la relève
Stéphanie Ruel, administratrice à la Fédération des producteurs de lait, est venue s’exprimer au nom de la relève qui, comme elle, s’inquiète face à l’incertitude créée par ces accords.
«C’est difficile pour nous de penser à long terme et de faire des investissements dans un climat comme celui-ci. On ne sait pas si demain matin l’argent que l’on a mis dans notre entreprise ne va juste pas tomber à l’eau. Les compensations doivent venir et être faites pour que l’on puisse prospérer. Quand les fermes agricoles investissent, elles font tourner le village dans lequel elles sont», a raconté celle qui exploite une ferme avec son conjoint et ses parents à Saint-Ferdinand.
Enfin, Luc Berthold a dit partager cette préoccupation pour la relève, mais l’a invitée à avoir confiance en l’avenir. «Quand on est un jeune qui veut investir des millions de dollars dans une entreprise, c’est sûr que c’est inquiétant si on ne sait pas si notre marché sera protégé. L’accès au crédit devient de plus en plus difficile quand il y a de l’incertitude. Il y a tellement de points négatifs en ce moment. Je les encourage cependant à se lancer parce qu’il y a de l’avenir dans l’industrie laitière et il y a des gens qui se tiennent debout pour eux», a conclu le député.
La production laitière dans Chaudière-Appalaches-Sud
– 527 fermes
– 4525 emplois
– 238,8 millions $ en valeur de production
– 5 usines
– 1156 emplois
– 395,9 millions $ de contribution de la filière laitière au PIB
La production laitière dans Chaudière-Appalaches-Nord
– 634 fermes
– 5790 emplois
– 301,7 millions $ en valeur de production
– 6 usines
– 428 emplois
– 413,7 millions $ de contribution de la filière laitière au PIB