Pénurie de main-d’œuvre : un « cri du cœur » régional
Les élus, les intervenants en développement économique et les industriels de Chaudière-Appalaches s’impatientent face à l’inaction du gouvernement provincial dans le dossier de la pénurie de main-d’œuvre. En 2021, c’est une somme de 2,1 milliards $ en valeur de production qui n’a pas été réalisée dans la région en raison du manque de travailleurs dans le secteur manufacturier, causant ainsi une perte d’opportunités, d’innovation et de croissance.
Rappelons qu’en novembre dernier, des représentants des milieux politique et économique de la région avaient demandé au gouvernement du Québec un plan d’urgence visant à permettre aux entreprises manufacturières de lutter contre les effets de la rareté de main-d’œuvre. Depuis, le sujet est resté lettre morte. « Nous nous parlons quand même, mais la sensibilité est moins présente. […] On dirait que le gouvernement ne voit pas l’enjeu », a indiqué le directeur général de Chaudière-Appalaches Économique, Philippe Mailloux, lors d’un point de presse destiné aux médias de la MRC des Appalaches.
Quatre demandes principales avaient été déposées, soit des assouplissements fiscaux pour les travailleurs de 65 ans et plus ainsi que la défiscalisation des heures supplémentaires, l’accélération de la hausse du bassin de main-d’œuvre par l’obtention de la résidence permanente des travailleurs étrangers, la mise en place d’un soutien adapté pour aider les entreprises dans leur migration technologique (les programmes actuels sont davantage conçus pour les grandes entreprises) et, enfin, trouver rapidement des solutions en matière de logement.
Des rencontres ont eu lieu avec les deux paliers de gouvernement ainsi qu’avec les gens responsables des programmes, mais celles-ci n’ont pas encore donné les résultats escomptés. « Ce que nous demandons, c’est d’en avoir avec certains ministres concernés par la nature des demandes. Les rencontres tardent, donc l’écoute est, disons, plus sélective », a soutenu M. Mailloux.
Selon lui, cette nouvelle sortie est « véritablement un cri du cœur de la région ».
UNE ÉTUDE QUI BROSSE UN PORTRAIT
D’après l’étude commandée par la Table régionale des élus municipaux de Chaudière-Appalaches (TREMCA), réalisée auprès de plus de 300 entreprises manufacturières de la région et dévoilée en novembre 2021, 90 % des répondants ont affirmé avoir des postes vacants et 86 % sous-utilisent leur capacité de production.
« Elles pourraient en faire plus, mais elles n’ont pas le personnel pour ça. Un total de 76 % d’entre elles ont dû refuser des contrats. Il y en a aussi 58 % qui envisagent de délocaliser la production hors de la région ou du Québec », a souligné le maire de Thetford Mines et président par intérim de la TREMCA, Marc-Alexandre Brousseau.
Ce dernier a mentionné que cela représente également des pertes pour les gouvernements, celles-ci étant de l’ordre de 145 millions $ seulement pour 2021. « On peut imaginer pour la suite, c’est vraiment énorme. »
Le directeur général de la Société de développement économique de la région de Thetford, Luc Rémillard, a ajouté que la MRC des Appalaches ressent cette pénurie à travers son territoire et que cela met en danger la vitalité du milieu économique. « Presque 92 % de nos entreprises ont 15 employés et moins. Nous avons beaucoup de PME réparties un peu partout. On le vit dans les domaines hôtelier et de la restauration aussi. Ce dont on parle, c’est d’occupation du territoire. Présentement, on voit que les postes qui s’affichent dans les grandes entreprises sont pourvus par des gens qui travaillaient dans les plus petites. Ce sont les PME à Adstock, Disraeli et un peu partout dans la région, à Thetford aussi, qui en subissent les conséquences. »
TRAVAILLEURS ÉTRANGERS
Les entreprises se tournent de plus en plus vers les travailleurs étrangers afin de pourvoir les postes vacants. Il faut dire que la Chaudière-Appalaches montre actuellement l’un des taux de chômage régionaux parmi les plus bas au Canada à 2,6 %. La main-d’œuvre doit donc être trouvée ailleurs.
Ce n’est toutefois pas aussi simple pour les PME qui n’ont souvent pas la capacité en ressources humaines afin de mener ces démarches. De plus, la Chaudière-Appalaches reçoit que très peu de nouveaux arrivants comparativement à son poids démographique, alors que la région aurait bien besoin de ces travailleurs.
Luc Rémillard dénonce également les modifications apportées au Programme de l’expérience québécoise (PEQ) qui rendent plus difficile l’accès à la résidence permanente pour les travailleurs étrangers. « Ce sont des gens évoluant déjà dans nos usines et étant déjà implantés dans notre milieu qui ne pourront pas accéder à la résidence permanente. »
« La pénurie n’est pas juste au Québec, mais chez les provinces voisines aussi. Ça devient un enjeu d’être concurrentiel dans le marché de la main-d’œuvre. Nous avons une belle qualité de vie et de bons emplois à offrir, mais si c’est plus simple d’obtenir sa résidence permanente ailleurs au Canada, ce n’est pas chez nous qu’ils vont venir », a renchéri Marc-Alexandre Brousseau.
Pour lui, le message est le même de la part de tous les élus, intervenants en développement économique et industriels de la Chaudière-Appalaches. « C’est toute la région qui se lève et qui dit que ça n’a pas de bon sens. Il faut que ça bouge. »